Cela fait une vingtaine d’années que les psychédéliques sont de retour dans les laboratoires américains. Ces substances interdites aux vertus hallucinogènes qui “révèlent l’âme“ comme l’étymologie du terme semble l’indiquer, ou aux vertus thérapeutiques comme le précise l’auteure en sous-titre de son ouvrage, font un retour en force outre-atlantique. Mais de quelles substances s’agit-il ? Stéphanie Chayet inclut à juste titre dans cette sous-famille de psychotropes aussi bien le LSD (synthétisé pour la première fois en 1938 par le fameux Albert Hofmann), que la psilocybine (présente dans les champignons hallucinogènes), la DMT (présente par exemple dans l’ayahuasca) et la mescaline (présente par exemple dans certains cactus comme le peyotl). C’est sur ces substances hallucinogènes que se concentre son ouvrage, substances dont elle fera l’expérience pour tenter, et de satisfaire sa curiosité bienvenue de journaliste, et de soulager ses angoisses liées à une affection cancéreuse dont elle est victime. A l’occasion de la rédaction d’un article publié en 2015 dans le Magazine du Monde, Stéphanie Chayet, qui vit à New York, s’était déjà intéressée aux recherches cliniques en cours ou naissantes aux Etats-Unis sans décider encore à cette époque-là de faire le voyage en terre psychédélique…
Aux Etats-Unis, comme nulle part ailleurs, sauf peut-être en Grande-Bretagne depuis une dizaine d’années, l’époque de dénigrement de ces substances et de stigmatisation de ses usagers, semble désormais révolue, ou du moins s’éloigner à grands pas. Bien entendu, tant que ces molécules resteront au tableau de celles qualifiées “à fort potentiel d’abus“ et sans aucun intérêt thérapeutique par la convention internationale des substances psychotropes de 1971, initiée par le président Nixon, il restera compliqué d’ouvrir grand les portes ou même les fenêtres à des psychotropes encore largement associés dans l’inconscient collectif à la contre-culture des années 60 et à une communauté hippie à qui l’on reproche d’avoir enrôlé tant de jeunes américains alors que le gouvernement tentait de son côté de les recruter dans son armée pour aller se faire tuer à l’autre bout de la planète, bref… Nixon, en deux coups de cuillère à pot, a réussi à mépriser des siècles de cultures ancestrales usagères de ces substances, du moins celles présentes dans la nature, et des années de recherches scientifiques qui ont été menées de la fin des années 50 à la fin des années 60. Ces molécules ont été en quelque sorte enfermées aux oubliettes, ou réservées à la marge, cette marge qui invite assez facilement les représentations à se positionner en contre et à moraliser les usages, médicaux ou récréatifs… Elles réémergent donc depuis la fin des années 90 pour s’inscrire, espérons-le, un peu plus durablement dans le temps, du moins celui de la recherche et des indications thérapeutiques sérieuses et très encadrées…
Stéphanie Chayet est allée à la rencontre de ces substances pour tenter de comprendre quels sont leurs effets, les vertus thérapeutiques explorées en laboratoire, et les enjeux pour l’avenir. Elle a interrogé des chercheurs, des patients, des chamans, de simples usagers/patients, et a testé les produits, en empruntant des voies “souterraines“, pour se faire un avis par elle-même du contenu de ces “trips“ intérieurs et de leurs intérêts médicaux… Les retours d’expérience sont malheureusement souvent difficiles à cerner tant chacune de ces expériences est propre à chaque consommateur, tant elles sont ineffables, et tant la dose, l’état d’esprit, et le contexte, ce que beaucoup de spécialistes appellent le “set and setting“, a son importance. Cependant, une tendance se dégage qui a à voir avec une sorte de dissolution de l’ego, de reconnection à la nature et à des proches disparus, et d’ouverture au monde qui nous entoure, ce qui peut bousculer toute vérité préalablement établie… Les consommateurs sortent rarement indemnes de ces expériences.
Il faut bien alors mettre de côté la fameuse loi qui interdit de « présenter sous un jour favorable ces substances », pour qu’une part de vérité sur ces molécules soit révélée au grand jour et affirmée. Car, en effet, les résultats à exploiter et les champs des possibles semblent s’étendre au-delà des espérances des chercheurs sans qu’il soit bien entendu question de parler de médicament miracle. La balance bénéfices/risques semble tout de même pencher du bon côté… La psilocybine, molécule qui fait l’objet actuellement du plus grand nombre d’essais cliniques, est administrée en laboratoire à des patients qui souffrent par exemple de détresse de fin de vie, de peur de mourir ou de rechuter, de dépression ou même de troubles de l’usage de psychotropes. Les résultats sont dès à présent probants et donc encourageants, suffisamment en tout cas pour que la FDA, l’agence américaine du médicament, attribue à la molécule le statut de percée thérapeutique…
Si l’ouvrage de Stéphanie Chayet est l’un des rares sur ce sujet, si ce n’est le seul, à être rédigé par une Française en français, c’est que la France, pourtant à la pointe de ces recherches dans les années 50, ne s’intéresse plus à ces psychédéliques qui font encore peur et sont donc loin d’avoir la cote dans les essais thérapeutiques en psychiatrie… Gageons que tant que les législations internationales camperont sur des positions prohibitionnistes, notre cher bon vieux pays restera sagement en retrait comme il sait malheureusement si bien le faire en se réfugiant derrière le sacro-saint principe de précaution…