“Une ode américaine
“, un film de Ron Howard 
diffusé sur Netflix

Alcool

C’est bien à contrecoeur que J.D., un enfant d’une douzaine d’années urinera dans un gobelet pour sauver la mise de sa maman. Quand sa grand-mère Mamaw dégaine l’argument incontournable, à savoir que « la famille c’est la seule chose qui compte », alors le jeune gars s’exécute, en mettant de côté ses rancoeurs tenaces… La famille, ce qu’elle nous apporte, ce qu’elle nous fait endurer, ce qu’elle nous laisse comme traces dans le coeur et dans l’esprit, ce qu’elle nous lègue comme patrimoine familial, c’est bien de cela dont il s’agit ici… Cette famille est, en l’occurrence, composée d’un grand-père discret alcoolodépendant et violent à ses heures, d’une grand-mère bourrue mais forte femme qui fume clope sur clope dehors comme dedans, d’une mère aimante mais lunatique, usagère compulsive d’antidouleurs, d’un père absent mais de beaux-pères qui s’enchaînent, et enfin d’une soeur aînée et d’un frère cadet qui font preuve d’une patience et d’une résilience à toute épreuve, avec malgré tout une sacrée envie de s’en sortir… 

Ce film est une adaptation du récit autobiographique de J.D. Vance (crack de la finance reconnu Outre-Atlantique), un best-seller publié en 2016 et qui raconte la « complainte d’un “plouc“, “pèquenau“ ou “bouseux“ » (Hillbilly Elegy, en anglais, titre de l’ouvrage), et plus précisément la jeunesse d’un jeune homme de l’Amérique profonde, élevé par deux femmes et ayant réussi à échapper à sa condition d’origine… Le film suit donc une partie du parcours de J.D., nous raconte des bouts de sa vie, et nous balade pour cela régulièrement de la deuxième moitié des années 90 au début des années 2010… En 2011, J.D. est étudiant en droit dans la prestigieuse université de Yale à New Haven dans le Connecticut, au sud de la Côte Est des Etats-Unis. C’est un élève brillant, méritant et bien entouré. Au cours d’un dîner mondain de mise en relation des étudiants avec des chefs d’entreprise, J.D. tente de se vendre à un cabinet d’avocat pour y faire un stage payant qui lui permettrait de financer sa dernière année d’étude. L’enjeu est de taille et les entretiens d’embauche qui pourraient en découler tout autant. Malheureusement, pendant cette soirée il apprend que sa mère, Beverly, a fait une surdose, non létale, d’héroïne et qu’elle est encore à l’hôpital. La soeur de J.D., Lindsay, mère de trois garçons, le supplie de revenir à la maison, c’est-à-dire à plusieurs centaines de kilomètres de là où il se trouve, pour s’occuper de leur mère …  

Dix heures de route séparent le jeune homme de sa région d’origine, à savoir les Appalaches, et plus précisément Middletown /Ohio, au Sud-Est des Grands Lacs, une ville moyenne de l’Amérique profonde, paupérisée par la crise industrielle, et où les habitants se sont facilement reconnus dans les discours de Donald Trump… Arrivé sur place, J.D. est confronté à une mère qui ne décolère pas d’être invitée à quitter sa chambre d’hôpital au plus vite pour libérer un lit, et enjointe alors à trouver un centre d’accueil pour traiter son addiction. Le médecin est prêt dans l’immédiat à lui prescrire du suboxone (association de Buprénorphine Haut Dosage et de naloxone), mais il ne peut pas faire plus… J.D. s’efforcera alors de trouver à sa mère une place, rare et chère, dans un centre d’accueil privé. Cette place Berverly la refusera finalement, préférant gérer son addiction à sa manière, tout en continuant à vivre, du moins pour un temps, avec son compagnon héroïnomane lui aussi… Malheureusement, les choses ne vont pas aller en s’améliorant. J.D. et sa grande soeur devront alors affronter dans les heures qui suivent, et seuls – leur grand-père et grand-mère étant décédé – les difficultés de vie d’une mère virée finalement de chez son compagnon et toujours prête à poursuivre ses injections d’héroïne… 

Ce retour provisoire sur ces terres familiales sera l’occasion d’en savoir plus sur ce qui a conduit Beverly à en arriver là. Il est bien entendu malvenu de faire des raccourcis sur les raisons qui conduisent une femme à devenir accro à l’héroïne, tant le processus est multifactoriel, mais des liens peuvent tout de même être suggérés entre certains événements et les premiers usages de psychotropes ou une poursuite de ces usages qui deviendront bien plus qu’occasionnels… On apprend que Bev est sujette à des troubles du comportement et à des accès de colère depuis que J.D. est gamin. Elle a visiblement des choses à régler avec ses parents qu’elle a vu s’affronter régulièrement quand elle était enfant. Son père, alcoolodépendant, frappait sa mère qui ne se laissait pas faire et a même été jusqu’à tenter de le tuer… Plus tard, au décès de ce père, Bev, pour soulager ses douleurs psychiques, profitera de son poste d’infirmière à l’hôpital pour subtiliser ce qui semble être des comprimés d’antidouleur. Elle perdra son travail, mais, pour ne pas perdre en plus sa licence d’infirmière, devra exiger de son fils qu’il urine pour elle dans un gobelet pour que les tests présentés à la commission soient négatifs… La suite ne sera pas plus glorieuse. J.D., encore jeune adolescent, commence à se laisser embarquer par ses amis dans des usages réguliers de cannabis, d’alcool, ou de protoxyde d’azote, et à commettre des petits délits sans que sa mère s’en préoccupe, du moins pas suffisamment. L’adolescent sera alors récupéré par sa grand-mère Mamaw qui le prendra en charge jusqu’aux études supérieures, et surveillera ses relations amicales pour éviter qu’il se perde comme ses parents et grands-parents, et surtout pour qu’il réussisse et s’en sorte financièrement. Bev, de son côté, passera, comme beaucoup de consommateurs de pain-killers malheureusement, à un usage régulier d’héroïne de rue… La suite, nous la connaissons…

L’Amérique que l’on nous propose ici n’est pas l’Amérique profonde structurellement dysfonctionnelle que certains aimeraient pointer du doigt, mais celle qui fait au mieux avec les moyens du bord sans être parfaite, bien évidemment, loin de là, mais qui ne se plaint pas, et avance à son rythme. Si certains dysfonctionnements sont racontés ici, ce n’est pas pour les condamner, mais pour les accompagner et tenter de comprendre d’où ils proviennent. La fatalité d’un atavisme familial porté sur les usages immodérés de psychotropes, les relations intergénérationnelles compliquées, et les situations financières désespérées, ne gagnera pas ici au final. Si les parcours de vie du grand-père, de la grand-mère, mais surtout de Beverly, la mère de famille, sont loin d’avoir été un long fleuve tranquille, ceux de J.D. et de sa grande soeur Lindsay basculeront, eux, du “bon côté“ de la vie en quelque sorte, c’est-à-dire, en l’occurrence, en marge de la violence conjugale ou parentale, de l’isolement, de la nécessité d’une assistance sociale ou des addictions… Là où certaines critiques pourraient pointer dans ce film un misérabilisme bien trop exacerbé, nous pouvons y voir simplement un sauve-qui-peut-la-vie qui mérite bien qu’on s’y attarde…

Thibault de Vivies
(Cet article sera publié dans le numéro 18 de la revue DOPAMINE – www.revuedopamine.fr)