Depuis plusieurs mois, le monde entier est touché par une pandémie sans précédent qui pousse nos autorités à prendre des mesures extraordinaires. Plusieurs pays ont opté pour la mise en place d’un confinement. Il s’agit d’un évènement inédit et imprévisible mais dont les conséquences psychologiques peuvent être considérables. C’est dans ce contexte que Brooks et collaborateurs (2020), ont émis l’hypothèse de l’émergence d’émotions négatives ainsi que de symptômes de stress post-traumatiques durant cette période. En effet, nos routines sont ébranlées, et face à cela, des comportements problématiques émergent, notamment, sur le plan alimentaire.
Afin d’apprécier les retentissements d’une telle situation sur notre alimentation, une étude a été menée auprès d’une population à risque de développer des conduites alimentaires problématiques : les étudiants. Selon les recherches antérieures, les étudiants représentent une population particulièrement sensible au développement de comportements alimentaires problématiques ainsi que de troubles des conduites alimentaires ou TCA (Tavolacci et al., 2015 ; Volpe et al., 2016). Dans un article paru en mai 2020 dans la revue Journal of Behavioral Addictions, une étude coordonnée par le centre TCA Auvergne s’est intéressée aux relations entre le stress lié aux mesures du premier confinement en mars 2020, et les comportements alimentaires problématiques auprès de 5 738 étudiants issus de plusieurs universités françaises (Flaudias et al., 2020). L’âge moyen des étudiants était de 21,2 ans et l’échantillon était composé de 74,6 % de femmes contre 25,4 % d’hommes.
D’après les résultats de cette étude, les comportements alimentaires problématiques sont associés au stress lié au confinement. En effet, les étudiants semblent particulièrement perturbés par l’isolement social et la réorganisation du quotidien. Cela s’est traduit par des comportements de compulsions alimentaires déclarés plus élevés durant les premiers jours de confinement pour les étudiants les plus stressés. Plus précisément, ces compulsions alimentaires se traduisent par une perte totale du contrôle, entraînant une consommation excessive d’aliments. De plus, les étudiants particulièrement stressés par le confinement, rapportaient des intentions de compulsions alimentaires durant les prochaines semaines, plus importantes, que les personnes moins stressées. Notons aussi que l’exposition aux médias exacerberait l’influence du stress lié au confinement sur les conduites alimentaires.
En revanche, et étonnement, les préoccupations liées directement à la pandémie, telles que le fait d’être infecté, hospitalisé ou de mourir de la COVID-19, ne sont pas associées à des comportements alimentaires problématiques. Le fait d’avoir ce type de comportement concernant l’alimentation n’a donc pas de relation avec les inquiétudes liées à la pandémie, mais bien avec les angoisses inhérentes à l’isolement et la réorganisation du quotidien.
De plus, les femmes rapportent davantage de comportements restrictifs que les hommes et envisagent les prochaines semaines avec un recours à des épisodes de restrictions alimentaires de façon plus importante que leurs homologues masculins. Concernant les personnes sensibles à l’anxiété et aux sentiments dépressifs, elles révèlent avoir davantage recours à des épisodes hyperphagiques durant les premiers jours de confinement, et en envisagent également pour la deuxième semaine. Par ailleurs, les personnes qui ont une insatisfaction corporelle élevée, une faible régulation comportementale et qui adhèrent fortement aux idéaux d’apparences, sont plus susceptibles d’avoir des intentions de restrictions alimentaires durant les prochaines semaines de confinement que les autres. Les personnes ayant déjà des problématiques alimentaires (mesurée par le SCOFF) déclarent, quant à elles, avoir plus fréquemment recours à des épisodes de frénésies alimentaires lors de la première semaine de confinement et envisagent les prochaines semaines avec des conduites alimentaires problématiques, tantôt marquées par des restrictions, tantôt marquées par des frénésies alimentaires. Notons aussi que les personnes ayant un indice de masse corporelle en dehors des normes de santé (obésité ou maigreur) envisagent les prochains jours avec plus de comportements de restriction que les individus dans la norme ou en surpoids.
Dans le cas de cette première semaine de confinement, beaucoup de personnes voient donc leurs comportements alimentaires changer. Dans l’étude actuelle, 38,3 % des individus sont à risques de développer un trouble des conduites alimentaires suite aux mesures de confinement.
Au vu de ces éléments, cette étude met en lumière la nécessité de dépister et identifier, surtout dans ces périodes d’isolement social, les personnes qui ont déjà des préoccupations pour le poids et la forme. L’objectif étant, la mise en place d’interventions ciblées pour les individus les plus vulnérables.
D’autre part, l’isolement social étant un des facteurs les plus délétères pour la santé mentale, il s’agit de réfléchir à des perspectives d’actions pour parer à cette souffrance. Les résultats de l’étude suggèrent la nécessité pour les étudiants d’avoir recours à des moyens alternatifs de se connecter à l’entourage durant ces périodes. En ce sens, les nouvelles technologies et applications numériques peuvent être une ressource clé dans le maintien du lien social. Il faudrait aussi diffuser davantage d’informations au sujet de la santé mentale à destination du grand public.
La situation sanitaire ne semblant pas s’améliorer, et des mesures de restrictions étant encore discutées par les différents gouvernements du monde en entier, il est important de noter qu’une prise en charge des personnes avec des fragilités concernant les conduites alimentaires doivent faire l’objet d’une attention particulière dans ce contexte où la focalisation se porte particulièrement sur les retombées somatiques induites par la COVID 19. Ceci est particulièrement vrai pour la population étudiante.
Par Emma Damase et Valentin Flaudias