Prises en charge des troubles du comportement alimentaire : les impacts de la Covid-19

La moitié des personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire (TCA) ne bénéficient pas d’une prise en charge médicale. Avec la crise sanitaire, la demande a explosé. Le délai d’attente avant une première consultation dans une structure spécialisée est de 2 à 3 mois. Au moins 600 000 adolescents souffrent de TCA.

Autres addictions comportementales

À l’heure où la télémédecine se supplée aux impératifs de distanciation sociale liés à la Covid-19, consulter un professionnel de la santé en ligne est une pratique en pleine expansion. Est-ce une bonne nouvelle pour les patients souffrant de TCA ?

La Covid-19 a certes modifié les tendances de prise en charge des patients et les pratiques habituelles. Cependant, les conséquences de ces changements sont encore mal connues. Les troubles du comportement alimentaire sont en ligne de mire. En effet, comme pour toutes les addictions, ces désordres et déséquilibres sont particulièrement sensibles au stress que peuvent engendrer des bouleversements brusques. Les impacts négatifs de la crise sanitaire qui ont accru la souffrance de ces patients sont nombreux : l’isolement social prolongé ou encore l’augmentation de la frénésie alimentaire, l’auto-contrôle et les préoccupations sur le poids (en période de stress) Lisandro et al., (2021).

Aussi, l’allongement du délai d’accès à la prise en charge et l’encombrement des urgences ont augmenté les risques de prise en charge inadaptée comme le syndrome de « renutrition ». D’un autre côté, les patients souffrant de boulimie, d’anorexie ou encore d’hyperphagie boulimique, n’osent pas toujours consulter. La peur du jugement ou la honte qu’elles ressentent, les empêchent parfois de franchir le pas. Les prises en charge à distance permettraient aux patients de se sentir plus libres de s’exprimer, tout en étant dans un lieu familier et donc plus rassurant.

La crise sanitaire a ainsi obligé les soignants à substituer les séances classiques en « présentiel » aux interventions virtuelles proposées dans un cadre ambulatoire pour les patients souffrant de troubles du comportement alimentaire. Des chercheurs ont donc eu l’occasion de comparer l’efficacité clinique de ces deux formes de traitement. Pour ce faire, Steiger et ses collaborateurs (2022), ont comparé les résultats d’auto-évaluations de patients TCA concernant leurs psychothérapies durant la Covid-19. L’auto-évaluation est réalisée à travers un questionnaire de 28 items qui mesurent les restrictions alimentaires, les préoccupations alimentaires et les préoccupations liées à la l’apparence physique et au poids. En outre, ils ont évalué leurs perceptions de la gravité des troubles ou encore leurs satisfactions à l’égard du traitement.

Ils ont eu recours à deux échantillons :

  • L’un composé de 49 patients souffrant de troubles du comportement alimentaire divers.  Ils sont traités en présentiel durant 10 à 14 semaines dans le cadre de thérapies individuelles et de groupe proposées par des professionnels de la santé mentale, des psychologues.
  • L’autre, est un groupe de 76 patients recevant des traitements virtuels à distance, pendant la crise du COVID -19. Tout cela, afin de comparer les symptômes des patients TCA, qu’ils soient pris en charge à distance ou en présentiel, et d’étudier l’influence de la modalité de traitement sur la prise en charge et le patient.

Les résultats de cette étude suggèrent qu’à court terme, les thérapies TCA virtuelles et classiques ont des effets rapprochés. En effet, les bénéfices d’une thérapie à distance seraient similaires à ceux d’une prise en charge en face à face car les participants souffrant d’anorexie, de boulimie ou du trouble d’alimentation restrictive (ARFID), auraient eu des résultats proches en termes d’évolution de leur pathologie. Ensuite, les deux groupes ont montré des améliorations assez similaires sur les symptômes alimentaires et les gains de poids (chez les personnes nécessitant cette prise de poids). Précisément, il y’a eu une augmentation significative de l’IMC (Indice de masse corporelle) pour presque tous les patients traités à l’exception des patients hyperphagiques, et cela sans différences associées à la thérapie virtuelle ou classique. Pour les deux groupes, l’anxiété et la dépression ne se sont pas améliorées pendant la thérapie, mais cela serait expliqué par la courte période de soin. Selon les auteurs, le patient serait moins susceptible d’attribuer les progrès aux professionnels et plus susceptibles de connaître un sentiment d’auto-efficacité à la suite de ses progrès.

Ainsi, les deux modalités de traitement ont donné des améliorations similaires, notamment à propos des indices de gravité des symptômes et de la satisfaction à l’égard du traitement. Les thérapies virtuelles étaient bien tolérées et ne révélaient pas de préoccupations concernant la confidentialité ou les liens limités avec les thérapeutes. Effectivement, les participants ont déclaré une satisfaction comparable à l’égard des traitements classiques et virtuels. D’autre part, les auteurs ont souligné le potentiel de la thérapie virtuelle pour les situations où la distance géographique ou d’autres facteurs compliquent l’accès aux soins ou à des traitements spécialisés. Comme on pouvait s’y attendre, les personnes dans la condition classique ont participé à plus de séances de groupe que celles dans la condition à distance, mais il n’y avait pas pour autant, de différence entre les groupes quant au pourcentage de séances auxquelles ils ont assisté.

Ces conclusions corroborent les rapports favorables de multiples études évaluant cette question. Les résultats montrent que la thérapie virtuelle (vidéoconférence) serait une alternative crédible et viable à la prise en charge classique pour une variété de problèmes de santé mentale. Assurément, leurs résultats correspondent à ceux d’autres études qui n’ont révélé que très peu de différences entre les réponses des patients ayant eu des psychothérapies standardisées, soit en présentiel soit à distance. Les données n’ont pas permis de prouver une quelconque infériorité du traitement virtuel, alors que la possibilité de prises en charges des TCA à distance représenterait une piste pour l’évolution et l’amélioration des traitements de demain.

Les professionnels de santé doivent s’adapter sans cesse à un monde en perpétuelle évolution, surtout dans le domaine des psychopathologies. Ils doivent adapter leurs outils et leurs méthodes aux nouvelles problématiques sanitaires et sociétales. Les psychothérapies à distance semblent donc bien une piste prometteuse à expérimenter.

Par ailleurs, l’International Society for Mental Health Online (ISMHO) a défini un cadre d’intervention des thérapies en ligne. Il déconseille la prise en charge à distance des patients souffrant de graves troubles psychiques ou présentant des risques suicidaires. On comprend que le risque ici, serait de ne pas repérer à temps le danger au travers d’un écran. Ce type de prise en charge devrait donc être envisagé plutôt dans le cadre d’une prise en charge ambulatoire et lorsque les troubles restent légers.

Soydemir Hélène, Valentin Flaudias

Références :

  • Steiger, H., Booij, L., Crescenzi, O., Oliverio, S., Singer, I., Thaler, L., … & Israel, M. (2022).In‐person versus virtual therapy in outpatient eating‐disorder treatment : A COVID‐19 inspired study. International Journal of Eating Disorders, 55(1), 145-150.
  • Linardon, J., Messer, M., Rodgers, R. F., & Fuller‐Tyszkiewicz, M. (2022). A systematic scoping review of research on COVID‐19 impacts on eating disorders: A critical appraisal of the evidence and recommendations for the field. International Journal of Eating Disorders, 55(1), 3-38.

Lewis, Y.D., Elran-Barak, R., Grundman-Shem Tov, R. et al. The abrupt transition from face-to-face to online treatment for eating disorders: a pilot examination of patientsperspectives during the COVID-19 lockdown. J Eat Disord 9, 31 (2021).

 

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