lettre au président de l'académie Nationale de médecine

Toutes les addictions

Monsieur le Président de l’Académie Nationale de Médecine,

Nous avons pris connaissance du rapport adopté le 10 octobre 2017 par l’Académie concernant les addictions en milieu professionnel.
Ce rapport apporte un éclairage documenté et intéressant sur cette thématique, mais certaines desconclusions nous surprennent car elles vont à l’encontre des missions des services de santé au travail, voirede la règlementation en vigueur.

Dans ce rapport, l’Académie nationale de médecine recommande :

1) la réalisation en milieu professionnel d’actions collectives d’information et de sensibilisation sur les dangers des drogues licites et illicites. Ces actions doivent s’appuyer sur les résultats d’enquêtes de prévalence à partir de dépistages anonymes et aléatoires des consommations dans l’entreprise. Les modalités de mise en œuvre de ces campagnes doivent être inscrites dans le règlement intérieur et la fiche d’entreprise. Un tableau de bord santé, protégé par l’anonymat, doit être présenté en CHSCT ;

2) des actions individuelles auprès des personnels occupant des postes mettant en jeu la sécurité
individuelle ou collective. Le médecin du travail doit être chargé d’assurer un contrôle garantissant l’absence de consommation d’alcool ou de substance illicite par ces personnels ;

3) le renforcement des missions d’information et d’éducation des milieux professionnelsœuvrant dans le champ de la santé et de l’éducation.
La réalisation en milieu professionnel d’actions collectives d’information et de sensibilisation sur les dangers
des drogues licites et illicites est une mesure que nous soutenons, mais elle doit s’accompagner d’une information sur les risques liés aux consommations, qu’ils concernent la santé ou la sécurité.

Il nous paraît toutefois illusoire, voire contre-productif, d’appuyer ces actions sur des enquêtes deprévalence, en particulier dans les petites entreprises, au risque de rompre le secret professionnel si l’enquête est menée par le service de santé au travail. Elle ne peut de toute façon pas être menée par l’employeurpuisque ce n’est ni dans ses compétences, ni surtout dans ses attributions, en dehors des postes à risques, et dans des conditions règlementairement très encadrées, qui n’ont plus pour objectif d’étudier une prévalence.

Dès lors, doit-on restreindre la réalisation de ces actions d’information aux seules entreprises dans lesquelles
des enquêtes de prévalence ont été réalisées ? La réponse, évidemment négative, à cette question démontre le caractère inopérant de cette proposition.

Indiquer que ces campagnes « doivent être inscrites dans le règlement intérieur et la fiche d’entreprise » nous semble témoigner d’une méconnaissance de la règlementation en vigueur sur la réalisation desrecherches de toxiques en milieu professionnel par les employeurs, et de sa finalité, puisqu’elles ne peuventêtre réalisées par les employeurs sur des postes à risques (ce qui exclut le caractère aléatoire et anonyme), sous réserve il est vrai que ce soit inscrit dans le règlement intérieur.

Par ailleurs, si l’Académie estime quede telles campagnes sont à mener par les services de santé au travail, préciser que cela doit être inscrit dans le règlement intérieur revient à nier l’indépendance professionnelle du médecin du travail et sa liberté deprescription, en fonction de l’individu qu’il a en face de lui et des conditions de travail.

Le médecin du travail dispose déjà de la liberté de prescrire des examens biologiques pour vérifier que le salarié ne consomme pas de substances pouvant nuire à sa santé, ou portant un risque manifeste d’atteinte àla sécurité des tiers évoluant dans l’environnement immédiat de travail.

L’Académie indique qu’un « un tableau de bord santé, protégé par l’anonymat, doit être présenté en CHSCT ». Ignore-t-elle que le médecin du travail présente déjà un rapport d’activité annuel de son activité à l’entreprise (que l’on peut assimiler à un tableau de page 7 sur les déterminants de consommation liés aux conditions de travail) ?

L’Académie indique que « le médecin du travail doit être chargé d’assurer un contrôle garantissant l’absence de consommation d’alcool ou de substance illicite par cespersonnels ». Le médecin du travail prend bien sûr en considération les risques posés par la consommation de substances
licites (incluant les médicaments) ou illicites pour déterminer l’aptitude, l’inaptitude ou proposer uneadaptation de poste, dans une perspective de prévention d’une atteinte à la sécurité pour un individu ou les tiers évoluant dans son environnement immédiat de travail. Il existe toutefois une différence entre médecinedu travail et médecine de contrôle, clairement posée par le Conseil d’Etat dans son avis du 7 juin 2006, et rappelée par le Conseil National de l’Ordre des Médecins.

Le médecin du travail ne peut assurer une mission
de contrôle.L’académie propose enfin « le renforcement des missions d’information et d’éducation des milieux
professionnels œuvrant dans le champ de la santé et de l’éducation ». Cette formulation peut être diversement interprétée. Si elle sous-entend que les missions des services de santé au travail doivent être élargies dans le domaine des addictions, il nous semble que cet aspect est déjà
très largement couvert par la règlementation en vigueur, avec une place dévolue à cette thématique très importante par rapport à d’autres missions.
Si elle vise d’autres publics professionnels, il serait utile de préciser lesquels.

Nous vous remercions de l’attention que vous porterez à ce courrier et vous prions d’agréer, Monsieur le Président de l’Académie Nationale de Médecine, l’expression de nos salutations distinguées.

 

Ce Courrier fait suite au rapport de l’Académie de médecine du 10 Octobre que vous pouvez voir en cliquant sur « Consulter en ligne »

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