Liens entre consommation de substances et troubles du comportement alimentaire

Autres addictions comportementales
Les troubles liés à l’usage de substances (TUS) sont principalement caractérisés par un ensemble de symptômes cognitifs, comportementaux et physiologiques qui expliquent que la personne continue de consommer la substance malgré des problèmes significatifs liés à cela (American Psychiatric Association, 2013). Dans une revue systématique sortie en 2021, Devoe & al, ont essayé de mieux comprendre les liens entre la consommation de substances et les troubles des conduites alimentaires (TCA). Pour cela, les chercheurs ont retenu les substances suivantes : la caféine, l’alcool, le tabac, le cannabis, les médicaments, les amphétamines et les stimulants.  Ces substances ont en commun l’activation du système cérébral de récompense. Ce système est aussi impliqué dans le renforcement des comportements et la production de souvenirs. Une activation puissante de ce système entraine la négligence des activités habituelles de l’individu. C’est-à-dire que le cerveau ne cherche plus la récompense de manière adaptative, (ex : fumer pour se détendre) mais de manière automatique (ex : fumer après le repas) (Que nous dit la science des addictions ? | Mildeca, s. d.) De même, des études ont mis en lumière que ce même système de récompense était mis en jeu chez les personnes souffrants d’Anorexie Mentale (AM). En effet, lorsqu’une personne souffrant d’AM est soumise à des images de personnes en sous poids et/ou a des indices d’activité physique, cela déclenche chez elle le système de récompense mésolimbique (Fladung et al., 2013; Horndasch et al., 2018). Ces constatations ont conduit au modèle « centré sur la récompense » qui stipule que les signaux alimentaires sont traités comme aversifs tandis que les signaux compatibles avec l’AM sont traités positivement et renforcent le trouble (O’Hara et al., 2015). Suite à la constatation de cette caractéristique commune, deux hypothèses ont été établies. La première est une hypothèse qui fait appel à l’autorégulation par l’auto-médiation, c’est-à-dire que la consommation de substances et les comportements liés à l’anorexie (ex : restriction) sont utilisés pour « traiter » une pathologie sous-jacente (Khantzian, 1997; Schoemaker et al., 2002). Effectivement, les personnes souffrant d’AM ou de TUS expliquent qu’elles ont besoin de la substance ou de la restriction pour apaiser leur « chaos intérieur » (Barbarich-Marsteller et al., 2011). La deuxième hypothèse quant à elle suppose que des facteurs de risque (ex : perfectionnisme, impulsivité, recherche de nouveauté etc..) augmentent le risque de développer à la fois des TCA et des TUS (Minhas et al., 2021; Schulte et al., 2016). Enfin, des substances toxiques spécifiques peuvent aider à maintenir un TCA. Par exemple, la caféine et les stimulants peuvent réduire l’appétit et ainsi maintenir la restriction calorique mais aussi masquer la fatigue intense liée à un faible IMC (Striegel-Moore et al., 2006). Des résultats neurobiologiques récents vont dans ce sens et soutiennent le fait que les mécanismes de dépendance à des substances sont impliqués dans le développement et le maintien des TCA (Wierenga et al., 2014). C’est pourquoi Devoe et al (2021) ont mis sur pied une revue systématique et une méta-analyse visant à évaluer : (1) les taux de prévalence des comorbidités entre les TCA et les TUS ou la consommation de substances, (2) la prévalence des TUS et de la consommation de substances par type de TCA) et (3) évaluer la qualité des écrits sur ce sujet. Parmi les 52 études recensées, les auteurs ont relevé que la prévalence globale de la consommation de substances parmi les troubles de l’AM était de 20 % (comprenant : la caféine (37 %), l’alcool (29 %), le tabac (25 %), le cannabis (14 %) et les stimulants (14 %)). La prévalence globale de tous types de troubles liée à l’utilisation de substances était de 16 %, (y compris l’abus ou la dépendance aux médicaments (7%), à l’alcool (10%), au cannabis (6%) et aux amphétamines (5%)). A titre de comparaison, la consommation de drogues parmi la population mondiale âgée de 15 à 64 ans est estimée à 0,71% (Drugs & Crime, 2019). Cela signifie donc qu’une personne souffrant d’anorexie mentale aurait plus de risques d’être atteinte de troubles liés aux substances qu’une personne qui n’en souffre pas. Cette prévalence élevée de la consommation de substances psychoactives des TUS chez les personnes atteintes d’AM pourrait avoir de fortes répercussions sur le traitement. Il est donc essentiel de mettre au point des stratégies efficaces pour les deux troubles. D’un point de vue pharmacologique, la plupart des médicaments utilisés pour traiter l’AM ou les troubles comorbides sont compatibles entre eux (Bahji et al., 2019). Par exemple, l’utilisation d’un traitement antagoniste opioïde et du naltrexone (un antagoniste des récepteurs opioïdes qui bloque la récompense endogène associée à la consommation d’alcool) peuvent se compléter. Cependant, certains de ces médicaments peuvent prolonger l’intervalle QT (Temps qui sépare le début de la dépolarisation du myocarde ventriculaire de la fin de la repolarisation) et engendrer des risques d’arythmies cardiaques chez les personnes souffrant d’AM avec un poids très faible (Bahji & al., 2018 ; Korownyk & al., 2019). De plus, le sevrage de l’intoxication au cannabis peut provoquer des symptômes d’anorexie, des nausées, des vomissements et une perte de poids (Bahji et al., 2020). De ce fait, plusieurs interventions psychosociales ont fait leurs preuves pour les TCA et les TUS. Nous pouvons retrouver les approches d’auto-assistance (von Ranson & Farstad, 2014), la thérapie cognitivo-comportementale basée sur la pleine conscience (Courbasson et al., 2010), la thérapie comportementale dialectique (TCD)(Claudat et al., 2020), ainsi que la thérapie familiale et de couple (Murray et al., 2014). Enfin, des interventions nouvelles et innovantes émergent. En effet, le neurofeedback basé sur l’IRMf (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle) en temps réel, la stimulation magnétique transcrânienne, la stimulation transcrânienne à courant continu et la stimulation cérébrale profonde, agissent sur des régions actives du cerveau pour réguler la prise alimentaire et la consommation de substances addictives (Dalton et al., 2017). Ces interventions partent du principe que, deux circuits cérébraux contrôlent à la fois la prise alimentaire dans les troubles de l’alimentation et la consommation de substances dans les troubles de l’attention. Le premier circuit répond aux stimulis de récompenses et le deuxième circuit régule le degré de contrôle cognitif de la consommation de nourriture ou de substances addictives (Val-Laillet et al., 2015). Néanmoins il est nécessaire d’effectuer des essais de contrôles randomisés afin de tester ces diverses stratégies de traitements. En conclusion, il s’agit de la méta-analyse la plus complète actuellement sur la prévalence comorbide des troubles de l’alimentation et les troubles liés à l’usage de substances chez les personnes souffrant d’anorexie, avec une prévalence globale regroupée de 16 %. Les troubles concomitants sont beaucoup plus fréquents chez les personnes atteintes de boulimie hyperphagique que chez celles atteintes d’anorexie mentale restrictive.  Les cliniciens doivent être conscients de la prévalence élevée de la comorbidité spécifique des TUS et de la consommation de substances chez les personnes atteintes d’AM. Enfin, il devrait être envisagé de dépister les TUS et d’intégrer les traitements qui ciblent les TUS chez les personnes atteintes d’AM. Par Camille ROUX & Valentin Flaudias Voir les sources de l’article