Quand le Foodporn sur les réseaux sociaux conduit à des préjugés sur le propriétaire du profil

Dans une société marquée par le développement des technologies numériques, le phénomène de « pornographie alimentaire » (également appelé « Foodporn ») prend une ampleur grandissante. Cette tendance actuelle consiste à capturer des photos de plats présentés de manière glamour pour les partager sur les réseaux sociaux et inviter les observateurs à les consommer par procuration.

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Image par Ivaylo Ivanov de Pixabay

Cette pratique se retrouve sur différentes plateformes telles que Facebook, Tumblr, Pinterest, mais concerne particulièrement Instagram, comme l’illustre le hashtag #foodporn qui accompagne plus de 200 millions de photos.

Depuis quelques années, les chercheurs se sont attachés à comprendre le rôle de ce partage et visionnage de photos de plats cuisinés sur les réseaux sociaux. Selon les spécialistes des sciences sociales, la nourriture véhiculerait des informations permettant de se former, de gérer une impression et d’exprimer des rôles de genre1. Ainsi, une personne qui mange des aliments perçus comme malsains est généralement considérée comme plus sociable et amicale, mais moins intelligente, respectueuse et morale qu’une personne qui mange des aliments sains2. D’autre part, les aliments sont stéréotypiquement associés à un genre. Dans l’esprit des individus, la viande est un aliment typiquement masculin3 et fortement associé au concept de virilité, tandis que les légumes, les produits laitiers, le poisson, les fruits, les desserts sont considérés comme typiquement féminins4. En ce qui concerne la valeur nutritionnelle de la nourriture, les aliments faibles en calories et matières grasses sont principalement associés aux femmes et les aliments malsains aux hommes5.

Ainsi, les individus forment facilement leur impression d’une personne6 et lui attribuent des traits masculins ou féminins à partir du type de nourriture qu’elle consomme7. Cependant, il n’existait pas à ce jour d’étude vérifiant si les mêmes mécanismes de jugement social sont à l’œuvre lorsque les individus forment leur impression d’un propriétaire d’un profil sur les réseaux sociaux, alors même que l’action de manger est absente ou du moins, implicite. Cavazza, Graziani et Guidetti se sont penchés sur cette question dans un article paru en décembre 2019 dans la revue Appetite. Ils ont recruté 195 individus italiens volontaires de 17 à 60 ans pour répondre à un questionnaire.

Leurs résultats ont mis en évidence que la connotation féminine des plats constitue un indice déterminant pour former son impression du propriétaire d’un profil Instagram. Plus précisément, la présence de plats typiquement féminins sur un compte Instagram favorise l’inférence de féminité et l’attribution de traits féminins à propos du propriétaire du profil. Ce résultat soutient l’idée que les stéréotypes sexistes à propos de la nourriture sont particulièrement contraignants pour les femmes puisqu’elles doivent manger des aliments faibles en calories et en graisses pour être perçues comme féminine. D’autre part, un profil congruent (c’est-à-dire un profil de femme qui affiche des plats perçus comme féminins ou d’homme qui poste des plats perçus comme masculins) augmente le désir des observateurs de rencontrer le propriétaire du profil. Enfin, un résultat inattendu suggère qu’un propriétaire d’un profil perçu comme ayant des traits féminins, qu’il soit un homme ou une femme, est plus attrayant socialement.

Pour conclure, cette étude contribue à une meilleure compréhension des fonctions socio-psychologiques qui sous-tendent ce phénomène de « pornographie alimentaire » en montrant que les photos de plats cuisinés permettent aux personnes qui les regardent de créer un jugement sur le propriétaire du profil en se basant sur des informations stéréotypées. Étant donné que les individus qui utilisent les réseaux sociaux sont exposés quotidiennement à des images de nourriture, il apparaît nécessaire de mieux connaître les implications pratiques de cette tendance actuelle. D’une part, ce phénomène entraîne le risque de devenir obèse8 puisque les plats malsains qui sont partagés suscitent l’envie de consommer des aliments riches en graisses et en calories. D’autre part, l’affichage de plats sains pour obtenir une impression positive et l’approbation des autres utilisateurs d’Instagram est potentiellement nuisible et devrait être investigué de façon plus approfondie En effet, en ayant intégré que ce qu’elles mangent les définissent et que pour être féminine, elles doivent manger peu de calories et de graisses, les jeunes filles et les femmes qui utilisent Instagram sont particulièrement à risque de se restreindre et de développer un Trouble des Conduites Alimentaires.

Par Valentin Flaudias et Lisa Baron

Article de reference:

Cavazza, N., Graziani, A.R., & Guidetti, M. (2020- sous presse). Impression formation via #foodporn : effects of posting gender stereotyped food pictures on Instagram profiles. Appetite, 147,

Autres références

  1. Herman, C. P., Roth, D. A., & Polivy, J. (2003). Effects of the presence of others on food intake: A normative interpretation. Psychological Bulletin, 129, 873–886. https://doi. Org/10.1037/0033-2909.129.6.873.
  2. Oakes, M. E., & Slotterback, C. S. (2004). Prejudgments of those who eat a “healthy” versus an “unhealthy” food for breakfast. Current Psychology, 23 (4), 267–278. https:// doi.org/10.1007/s12144-004-1001-6.

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