Risque d’usage problématique des jeux vidéo chez les adolescents européens

Une évaluation transnationale des facteurs individuels et socio-économiques

Autres addictions comportementales

Introduction :

Le jeu vidéo est devenu un loisir courant et populaire dans le monde, en particulier chez les adolescents, dont les bénéfices peuvent être multiples. Cependant, leur usage peut devenir problématique avec des conséquences négatives telles que des symptômes d’anxiété, de dépression, des troubles du sommeil, des résultats scolaires moins bons, des troubles du comportement… La forme la plus sévère du trouble de l’usage des jeux vidéo est reconnue comme une addiction dans la classification internationale des maladies, même si les critères diagnostics restent débattus dans la communauté scientifique.

Bien que des facteurs individuels de vulnérabilité aient été démontrés dans l’usage problématique des jeux vidéo comme la dysrégulation émotionnelle et l’impulsivité, peu d’études rapportent l’impact des facteurs sociaux et économiques. Ces derniers ont pourtant des conséquences reconnues sur la santé physique et psychologique des adolescents.

En ce sens, une équipe italienne et australienne a publié une étude s’intéressant à l’impact des facteurs individuels mais aussi socio-économiques sur le risque d’avoir un usage problématique des jeux vidéo ou « problematic gaming » (PG). Pour ce faire, ils ont utilisé les données d’un échantillon de presque 90000 adolescents provenant de 30 pays européens, grâce à la base de données ESPAD (2019 European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs).

Résultats :

Selon cette étude, certains facteurs seraient associés à un risque plus important de PG : le sexe masculin, le nombre d’heures passées à jouer par jour, la structure familiale et les inégalités économiques. Les auteurs ont montré dans leur échantillon qu’un adolescent vivant avec un parent isolé ou dans une famille recomposée serait plus à risque de PG, ce qui pourrait s’expliquer par un surrisque de dysfonctionnement et de conflit intra-familiaux et une tendance à s’échapper dans le jeu, décrite dans des travaux antérieurs (Rikkers, Lawrence, Hafekost, & Zubrick, 2016).  La littérature abonde concernant l’impact des inégalités sur le bien-être. Les adolescents vivant dans des sociétés inégalitaires pourraient avoir intérêt à passer plus de temps dans une réalité virtuelle, où les règles qui s’y appliquent diffèrent de la réalité.

Inversement, certains facteurs seraient plutôt associés à un risque moins important de PG : le soutien parental et les prestations familiales de l’Etat.

Les dépenses gouvernementales en matière de protection sociale, de prestations familiales et d’éducation pourraient réduire le risque de PG. En effet, il paraît évident que le bien-être familial puisse être impacté par le stress financier, avec des conséquences directes sur la vie des enfants et leur santé mentale.

L’impact du soutien familial et de la régulation parentale du temps de jeu sur le risque de PG est l’un des résultats les plus importants de cette étude. Vivre dans une famille où les limites sont claires et bien établies pourrait prévenir le risque de PG. Par ailleurs, il a été montré qu’une éducation soutenant l’autonomie plutôt que la coercition favoriserait le respect des règles. Comme les adolescents peuvent jouer à des jeux vidéo pour tenter de faire face aux facteurs de stress quotidiens, être soutenu par les membres de leur famille face aux défis complexes de l’adolescence a été démontré comme pouvant réduire le risque de PG. Cette étude montre d’ailleurs que le contrôle parental des allées et venues des adolescents ne protégeait pas significativement de la survenue d’un PG, à la différence d’autres comportements addictifs, probablement car ce comportement a lieu au domicile majoritairement, et l’enjeu est plutôt de diversifier les activités vers l’extérieur de la maison.

Limites :

  • Le risque de PG a été évalué à l’aide d’un outil pouvant avoir une précision limitée dans l’identification des joueurs problématiques. Cela pourrait potentiellement donner des taux de prévalence plus élevés en raison de faux positifs.
  • La définition de PG reste débattue et des études restent nécessaires pour évaluer les problèmes liés au jeu et la symptomatologie associée.
  • L’influence d’autres variables telles que les caractéristiques de jeu, ses conditions d’utilisation (seul, entre pairs, à l’école) et le motif d’utilisation (évasion, socialisation, régulation) doivent être également analysés.
  • Enfin, les résultats peuvent être considérés comme représentatifs uniquement pour les élèves de 15-16 ans dans les écoles ordinaires et, par conséquent, ils peuvent ne pas être étendus aux enfants de tout âge et/ou non impliqués dans d’autres parcours scolaires.

 

Conclusion :

Un environnement familial favorable, des inégalités économiques plus faibles, des dépenses publiques plus élevées en faveur des familles et des enfants semblent être associés à un risque plus faible de jeu problématique chez les adolescents européens.

Julien CHUPIN,  Dr Amandine LUQUIENS

Références :

Colasante, E., Pivetta, E., Canale, N., Vieno, A., Marino, C., Lenzi, M., . . . Molinaro, S. (2022). Problematic gaming risk among European adolescents: a cross-national evaluation of individual and socio-economic factors. Addiction, 117(8), 2273-2282. doi:10.1111/add.15843

Rikkers, W., Lawrence, D., Hafekost, J., & Zubrick, S. R. (2016). Internet use and electronic gaming by children and adolescents with emotional and behavioural problems in Australia – results from the second Child and Adolescent Survey of Mental Health and Wellbeing. BMC Public Health, 16(1), 399. doi:10.1186/s12889-016-3058-1